Obligations nouvelles en matière de sociétés de droit commun

Obligations nouvelles en matière de sociétés de droit commun

Publié le : 05/11/2018 05 novembre nov. 11 2018

La société de droit commun, également qualifiée de société civile, est une structure ayant été fréquemment utilisée, au cours des dernières années, comme instrument de planification patrimoniale.

Il s’agit d’une entité transparente, dépourvue de personnalité juridique, qui permet de mettre en commun un certain nombre d’éléments de patrimoine pour lesquels naît un rapport d’indivision entre les associés.

Concrètement, chaque actionnaire apporte des biens dans l’indivision, à savoir essentiellement des valeurs mobilières bancaires ou des actions de société, et reçoit en contrepartie un nombre de parts de la société de droit commun correspondant.

Le régime fiscal applicable à la société de droit commun est celui de la transparence, ce qui signifie que les revenus produits sont, à l’impôt sur les revenus, considérés comme perçus directement par les actionnaires et imposés comme tels.

L’intérêt de la société civile est de permettre la nomination d’un ou de plusieurs gérant(s) statutaire(s) successif(s), dont le mandat ne prend fin que moyennant l’accord unanime des associés.

Dans un cadre familial, cette possibilité permet de garantir aux parents, leur vie durant, la gestion de la société civile dont le patrimoine est constitué de biens qu’ils ont apportés. Les parents restant en toute hypothèse actionnaires ne fût-ce que minoritaires de la société, le mandat de gérant ne peut leur être retiré qu’avec leur accord, ce qui constitue une garantie considérable.

Les sociétés de droit commun existantes sont, depuis le 1er novembre 2018, soumises au respect de différentes nouvelles obligations, issues essentiellement de la loi du 15 avril 2018 portant réforme du droit des entreprises.

Le présent article a pour objet d’examiner brièvement ces nouvelles obligations.
 

1.    Remplacement de la dénomination de « société de droit commun » par celle de « société simple »


A compter du 1er novembre 2018, la dénomination de « société simple » remplace, dans le Code des sociétés, celle de « société de droit commun ».

Les structures constituées après cette date adopteront immédiatement la nouvelle dénomination.

Les sociétés de droit commun existantes au 1er novembre 2018 sont tenues, à compter de ce moment, de procéder à une modification de leurs statuts au terme de laquelle les mots « société de droit commun » seront remplacés par « société simple ». Une telle modification des statuts suppose la tenue d’une assemblée générale, à l’initiative du gérant.

Nonobstant cette modification, sur la forme, de la dénomination de la société, la société simple demeure, sur le fond, une structure sans personnalité juridique, à savoir un régime d’indivision organisé contractuellement. Son régime fiscal, notamment, reste inchangé.
 

2.    Modification du régime de responsabilité des actionnaires


Les actionnaires demeurent, comme c’était le cas précédemment, tenus de manière illimitée des dettes éventuelles de la société.

Mais, alors qu’ils étaient auparavant responsables vis à vis des tiers par parts viriles (p. ex. en présence de trois actionnaires, chacun ne peut être tenu que d’un tiers des dettes), la responsabilité est désormais solidaire (chacun des actionnaires étant tenu de l’intégralité des dettes à l’égard des tiers, à charge pour lui d’exiger des autres actionnaires qu’ils en supportent chacun leur part).

L’incidence de cette modification reste néanmoins théorique en présence d’une société simple dont le seul objet est d’assurer la gestion d’un patrimoine familial. En effet, dans ce contexte, il est excessivement improbable que la société simple présente des dettes excédant la valeur de son patrimoine.
 

3.    Inscription à la Banque-Carrefour des entreprises


Les sociétés simples constituées à compter du 1er novembre 2018 sont tenues de s’immatriculer auprès de la Banque-Carrefour des entreprises avant de démarrer leurs activités.

En ce qui concerne les sociétés de droit commun existantes, la démarche devra être réalisée avant le 1er mai 2019.

Il convient d’avoir recours à un Guichet d’entreprises pour procéder à l’inscription à la Banque-Carrefour des entreprises (la liste des Guichets d’entreprise agréés est disponible sur le site internet du S.P.F. Economie).

Lors de l’immatriculation, les sociétés simples se voient attribuer un numéro d’entreprise (numéro B.C.E.), qui devra être mentionné dans tout document émanant de la société et destiné à une administration ou à des tiers. De même, chaque document établi par la société simple doit désormais mentionner l’adresse et un numéro de compte bancaire au moins.

En vue de l’inscription à la Banque-Carrefour des entreprises, les données suivantes doivent être mentionnées (cette énumération est prévue de manière générale pour toute entreprise au sens du Code de droit économique) :
  • le nom, la dénomination ou la raison sociale ;
  • l’adresse ;
  • la forme juridique ;
  • la situation juridique ;
  • la date de création et la date de cessation ;
  • les données d'identification des fondateurs, mandataires et fondés de pouvoir ;
  • les activités économiques exercées ;
  • le cas échéant, la référence au site internet de l'entreprise, son numéro de téléphone, de fax ainsi que son adresse électronique ;
  • les données relatives au(x) compte(s) bancaire(s) de l'entreprise.
Ces informations seront, pour le public, librement accessibles sur le site internet de la Banque-Carrefour des entreprises.

En revanche, ni les statuts, ni les apports à la société simple, ni la consistance de son patrimoine ne doivent être communiqués. De même, il n’y a pas d’obligation de déposer à la Banque nationale les comptes de la société simple.

Il semble que les données relatives à une société simple ne pourront être consultées que sur la base du nom ou du numéro B.C.E. de la structure, voire de son adresse, et non sur la base du nom des fondateurs ou des gérants. Par conséquent, il semble prudent, par souci de discrétion, de faire en sorte que la dénomination de la société simple ne contienne pas de nom de famille.
 

4.    Tenue d’une comptabilité simplifiée


Les sociétés simples constituées à compter du 1er novembre 2018 doivent tenir une comptabilité.

En ce qui concerne les sociétés de droit commun existantes, cette obligation sera effective uniquement à compter du premier exercice comptable complet qui débutera après le 1er mai 2019. En d’autres termes, si l’exercice comptable de la société de droit commun coïncide avec l’année civile, une comptabilité devra être tenue à partir du 1er janvier 2020.

Pour autant que le chiffre d’affaires du dernier exercice n’excède pas 500.000,00 €, il s’agira d’une comptabilité simplifiée, constituée des trois journaux distincts suivants, tenus de manière fidèle et complète et par ordre de date :
  • un journal financier, reprenant les mouvements des disponibilités en espèces et en compte et les soldes journaliers ;
  • un journal des achats, reprenant les factures d’achat et tickets de caisse reçus ;
  • un journal des ventes, reprenant les factures de vente et les tickets de caisse émis.
En présence d’une société simple purement patrimoniale, dont l’objet consiste exclusivement en la gestion d’un patrimoine familial, le journal des achats et celui des ventes ne seront a priori pas à compléter.

Il en ira différemment du journal financier, qu’il conviendra effectivement de tenir.
 

5.    Déclaration au registre UBO


Le registre des bénéficiaires économiques ultimes (ultimate beneficial owners en anglais, d’où l’acronyme UBO), est une base de données trouvant son origine dans la directive européenne 2015/849 du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.

Il a pour objectif de fournir des informations actualisées à propos des personnes qui contrôlent ou possèdent une des entités juridiques visées par la loi du 18 septembre 2017, laquelle a transposé en droit belge cette directive. Les sociétés simples font partie de ces entités, au même titre, notamment, que les sociétés commerciales, les A.S.B.L. ou les fondations. Par conséquent, elles devront donner lieu à une déclaration au registre.

Le registre UBO, en principe d’application depuis le 31 octobre 2018, est géré par le S.P.F. Finances, et plus précisément par l’Administration générale de la Trésorerie. Il devra être complété pour la première fois au plus tard le 31 mars 2019, par le gérant de la société de droit commun. Ce dernier peut néanmoins désigner un mandataire à cette fin.

C’est sur le site internet du S.P.F. Finances que le registre peut être consulté et complété, par le biais de la plateforme en ligne MyMinFin. Une identification est requise, sur le modèle de celle exigée au moment du dépôt de la déclaration à l’impôt des personnes physiques sur la plateforme Tax on Web (carte d’identité électronique, token, application Itsme…).

Quels sont les bénéficiaires effectifs dont les coordonnées doivent être mentionnées dans le registre UBO ?
  • les personnes physiques qui détiennent, directement ou indirectement, un pourcentage suffisant de droits de vote ou une participation suffisante dans le capital (indice de pourcentage suffisant : 25 %) ;
  • les personnes physiques qui exercent le contrôle de la société par d’autres moyens ;
  • à défaut d’autre bénéficiaire économique identifié, la personne qui occupe la fonction de dirigeant principal.
Dans le cadre d’une société de droit commun, les actionnaires détenant au moins 25 % des parts sociales devront, à tout le moins, être renseignés au registre UBO. A priori, en cas de démembrement des parts en usufruit et nue-propriété, c’est l’usufruitier qui sera concerné, mais il n’existe à ce stade pas de certitude à cet égard.

Le gérant semble devoir être mentionné en tant que tel uniquement si aucun des actionnaires ne détient au moins 25 % des parts en pleine propriété ou en usufruit.

Les informations suivantes doivent être fournies, à propos de chaque personne présentant la qualité de bénéficiaire effectif :
  • le nom et le prénom ;
  • la date de naissance ;
  • la nationalité ;
  • l’adresse complète ;
  • la date à laquelle la personne est devenue bénéficiaire effectif ;
  • le numéro d’identification au Registre national des personnes physiques ou à la Banque-carrefour de la sécurité sociale, et, le cas échéant, tout identifiant similaire donné par l’État où elle réside ou dont elle est un ressortissant ;
  • la ou les catégorie(s) de bénéficiaire effectif dont elle relève.
  • Le registre UBO pourra être consulté par les autorités compétentes, y compris l’administration fiscale, mais aussi par toute personne privée.
Il importe de souligner que toute consultation du registre UBO suppose une identification électronique préalable de la personne qui souhaite y accéder. Les consultations sont enregistrées et conservées pendant une durée de dix ans. Elles donnent lieu au paiement préalable de frais administratifs, dont le montant n’est actuellement pas connu.

En outre, la personne privée qui souhaite consulter le registre UBO doit nécessairement disposer du numéro B.C.E. ou du nom de la société pour laquelle elle désire réaliser une recherche. La consultation ne peut visiblement pas intervenir sur la base du nom d’un bénéficiaire effectif éventuel.

Enfin, les personnes privées, sans lien avec la société pour laquelle elles consultent le registre UBO, auront exclusivement accès aux informations suivantes relatives aux bénéficiaires économiques :
  • le nom (mais pas le prénom) ;
  • le mois et l’année de naissance (mais pas le jour) ;
  • la nationalité ;
  • le pays de résidence (mais pas l’adresse) ;
  • la date à laquelle la personne est devenue bénéficiaire effectif ;
  • l’étendue de l’intérêt détenu (le pourcentage de droits de vote pour un actionnaire, la qualité de gérant…).
Comme indiqué plus haut, le registre UBO devra être complété par le gérant de la société de droit commun pour la première fois au plus tard le 31 mars 2019.

Il devra ensuite être mis à jour, en principe dans le mois de toute modification intervenue. Par ailleurs, les informations mentionnées dans le registre devront faire l’objet d’une confirmation par le gérant, au moins une fois par an.

Le non-respect de ces diverses obligations est susceptible de donner lieu à une amende administrative, dont le montant s’échelonnera entre 250,00 et 50.000,00 €.


En résumé, les échéances suivantes doivent être respectées par le gérant des sociétés de droit commun existantes :

1. 
A partir du 1er novembre 2018 : modification des statuts par assemblée générale, de manière à remplacer la dénomination de « société de droit commun » par celle de « société simple » et, le cas échéant, en vue de la suppression du nom de famille du nom de la société.

2. Au plus tard le 31 mars 2019 : déclaration au registre UBO.

3. Au plus tard le 30 avril 2019 : immatriculation à la Banque-Carrefour des entreprises, via un Guichet d’entreprise.

Ce délai semble cependant en pratique théorique. En effet, la déclaration au registre UBO suppose que la société dispose d’un numéro B.C.E. Par conséquent, de manière à pouvoir procéder à la déclaration au registre UBO au plus tard le 31 mars 2019, il conviendra qu’à cette date la société ait déjà été immatriculée à la Banque-Carrefour des entreprises et qu’elle dispose d’un numéro B.C.E. En d’autres termes, l’immatriculation devra avoir été réalisée avant cette date.

4. A compter du premier exercice comptable commençant au plus tôt le 1er mai 2019 : tenue d’une comptabilité, en principe simplifiée.


Manuel Gustin,
avocat associé

 

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