Crise énergétique et entreprises en difficulté : quelles sont les modifications temporaires apportées par la loi du 30 octobre 2022 ?

Crise énergétique et entreprises en difficulté : quelles sont les modifications temporaires apportées par la loi du 30 octobre 2022 ?

Publié le : 10/11/2022 10 novembre nov. 11 2022

La loi du 30 octobre 2022 offre aux entreprises en difficulté « grandes consommatrices d’énergie » des mesures de protection temporaires à l’égard de leurs créanciers, tant en matière de saisie que de faillite.

Le 3 novembre 2022 est entrée en vigueur une loi du 30 octobre 2022 portant des mesures de soutien temporaires suite à la crise énergétique.

Parmi celles-ci, le législateur y a consacré un chapitre réservé aux entreprises considérées comme « grandes consommatrices d’énergie en difficulté ». 

La loi offre à ces entreprises un régime dérogatoire à certaines dispositions applicables en matière de droit des saisies et du droit de la faillite.

Ce régime est limité dans le temps mais est toutefois renouvelable (cf. infra, point III.). 

Nous évoquons, ci-après, les principales mesures dérogatoires apportées par cette loi en matière d’entreprises en difficulté, à travers les trois interrogations suivantes :

I. Quelles sont les entreprises visées ? 
II. Quelles sont les mesures prises ? 
III. Quelle est la durée des mesures prises ?

I. Quelles sont les entreprises visées ? 

Le champ d’application des mesures de soutien est limité aux « entreprises grandes consommatrices d’énergie en difficulté ».

Afin d’être considérée comme telle, l’entreprise doit répondre à cinq conditions cumulatives, à savoir : 

1. être une entreprise soumise au droit de l’insolvabilité (livre XX du Code de droit économique (« CDE »)) constituée avant le 24 février 2022 .

2. ne pas avoir cessé ses paiements en date du 24 février 2022 ;

3. l'achat de produits énergétiques et d'électricité doit avoir représenté, en 2021, au moins 3 % de la valeur ajoutée générée par l’entreprise.

Cette condition appelle les précisions suivantes : 
Par « achat », le législateur vise le coût réel de l’énergie que l’entreprise a supporté entre le 1er janvier et le 31 décembre 2021 ;
Par « énergie », la loi semble notamment inclure le gaz, l’électricité, le bois, le charbon ou encore le pétrole (sans que cette liste soit exhaustive) ;
Par « valeur ajoutée », il y a lieu d’entendre le chiffre d'affaires total soumis à la TVA, y compris les exportations, diminué de la totalité des achats soumis à la TVA, y compris les importations.

4. l'entreprise doit avoir payé au cours des mois d’août, septembre et octobre 2022 un prix d'énergie qui a au moins doublé par rapport au prix d'énergie payé en moyenne entre le 1er janvier 2021 et le 30 septembre 2021;

5. l'entreprise n'a pas de dettes fiscales ou sociales échues et exigibles, à l'exception de celles qui sont couvertes par un plan d'apurement.

Il n'est pas tenu compte des dettes fiscales inférieures ou égales à un montant total de 1.500,00 EUR ni de celles dont l'existence ou le montant fait l'objet d'un contentieux pour lequel une décision définitive n'est pas intervenue.

II. Quelles sont les mesures prises ?

Les mesures prises à l’égard des entreprises visées ci-avant concernent la procédure de saisie mobilière (A) et de faillite (B).

A. Saisie mobilière. L’entreprise grande consommatrice d’énergie en difficulté qui fait l’objet d’une saisie pratiquée sur ses biens meubles peut, à sa demande, obtenir du juge des saisies qu’il donne la mainlevée de ladite saisie, pour autant que :
(i) l’entreprise rapporte la preuve qu’elle satisfait aux conditions prévues par la loi pour être qualifiée d’entreprise grande consommatrice en difficulté (pt. I.) et que : 
(ii) la saisie concerne des dettes liées à l’achat de produits énergiques réalisées après le 24 février 2022. 
Si ces deux conditions sont remplies, alors le juge des saisies sera tenu de donner mainlevée de la saisie. 

La loi indique expressément que cette faculté n’est ouverte à l’entreprise qu’en cas de saisie sur ses meubles et non en cas de saisie sur immeuble(s). 

Cette exclusion est justifiée par le souci de rechercher un équilibre entre les intérêts respectifs des créanciers et du débiteur.

Enfin, bien que la loi ne le précise pas expressément, la lecture des travaux préparatoires laisse à penser que la mesure introduite vaut tant pour les saisies conservatoires que les saisies exécution.

B. Faillite. La procédure de faillite peut être déclarée soit sur aveu de l’entreprise elle-même soit sur citation introduite par un tiers. 

La loi du 30 octobre 2022 déroge tant au régime de la faillite sur citation (B.1.) que de la faillite sur aveu (B.2.).
B.1. Faillite sur citation. L’entreprise grande consommatrice d’énergie en difficulté ne peut plus être déclarée en faillite sur citation ou, si l’entreprise est une personne morale, être dissoute judiciairement, sauf si :
  • la citation émane du ministère public ou de l’administrateur provisoire de l’entreprise (art. XX.32 CDE) ;
  • la personne morale est renvoyée en dissolution par la chambre des enterprises en difficultés ;
  • l’entreprise elle-même ne s’oppose pas à la citation en faillite.
La loi n’impose pas de condition particulière à l’entreprise pour jouir de ce régime de faveur si ce n’est de rapporter la preuve (au Tribunal) qu’elle satisfait aux conditions prévues par la loi pour être qualifiée d’entreprise grande consommatrice en difficultés

A dater de l’audience d’introduction, l’entreprise dispose d’un délai de quinzaine pour rapporter cette preuve. Ce délai peut être prolongé par décision du tribunal. 

A défaut de rapporter cette preuve, l’entreprise ne sera pas considérée comme une grande consommatrice d’énergie en difficulté et, par voie de conséquence, pourra être déclarée en faillite. 

Par ailleurs, l’entreprise grande consommatrice d’énergie en difficulté ne peut pas non plus être forcée d’entrer en procédure de réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice.

B.2. Faillite sur aveu. L’article XX.102 du Code de droit économique pose le principe selon lequel l’entreprise est dans l’obligation de faire aveu de faillite dans le mois de la cessation de ses paiements, sous peine de poursuites pénales.

La loi du 30 octobre 2022 suspend cette obligation dans le chef de l’entreprise grande consommatrice d’énergie en difficulté, si la réalisation des conditions de la faillite est due à l'augmentation des prix de l'énergie.

Ce qui précède n’empêche pas l’entreprise, bien que qualifiée de grande consommatrice d’énergie en difficulté, de faire aveu de faillite si celle-ci le juge opportun.
 

III. Quelle est la durée des mesures prises ? 

Les mesures dérogatoires analysées ci-avant sont entrées en vigueur le 3 novembre 2022 et prendront fin le 31 décembre 2022.

La loi prévoit toutefois une possibilité pour le gouvernement de prolonger ces mesures par périodes n’excédant pas trois mois. 

Le nombre de prorogations possibles ne semble quant à lui pas être limité.
 

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